La corporation des mineurs, au travail pénible et dangereux, paye malheureusement un lourd tribut à la mort. Il ne s'est jamais écoulé une seule année sans que l'on ait à déplorer un ou plusieurs accidents mortels.
Le 1er Décembre 1938, La Grand'Combe se préparait à fêter SAINTE-BARBE, patronne des mineurs. Déja sur la place de nombreuses attractions foraines étaient montées et les carroussels de chevaux de bois avaient même commencé à tourner, pour la joie des enfants.
Hélas, dès la première heure du 02 Décembre, en pleine nuit, la population fut réveillée par une circulation inaccoutumée de véhicules de toutes sortes, parmi lesquels on reconnaissait au passage les voitures de pompiers et ambulances, faisant présager qu'un malheur venait de se produire.
Tandis que l'on s'interrogeait anxieusement sur l'événement qui venait de se passer, la réponse parvenait rapide et terrible: il y a le feu au puit de RICARD. L'on vit aussitôt une foule de personnes au visage angoissé, se diriger vers ce puits, qui ne se trouve qu'à quelques centaines de mètres du centre de la ville.
Le puits de RICARD, destiné à l'exploitation des couches d'anthracite dans un gisement encore inexploité, avait été foncé quelques années auparavant. Doté des derniers perfectionnements, le plus profond de tout le bassin, il n'était en service que depuis Aout 1935. C'était l'orgueil de la compagnie et l'avenir de la mine.
Son effectif de mineurs s'était progressivement élevé. Il atteignait alors le chiffre de 800 ouvriers, dont le plus grand nombre, heureusement, était occupé aux deux postes de la journée. Cependant, il y avait un troisième poste (poste de nuit), comprenant une centaine d'hommes chargés des travaux d'entretien et de sécurité.
On trembla pour ces derniers.
Mais lorsqu'en approchant du lieu du sinistre, on vit les énormes flammes qui s'échappaient de l'orifice du puit enveloppant complètement le chevalement, montant à une centaine de mètres, la terreur ne connut plus de borne. On crut un instant tous ces malheureux pris dans la fournaise. Heureusement, la nouvelle vint, rassurante: le poste n'était pas encore rentré quand le feu se déclara.
Le poste n'était pas encore rentré, mais deux chefs de poste, chargés de la tournée de sécurité, étaient au fond du puit lors de l'accident.
La cage remontée en toute hâte, sous l'effet de la chaleur, avait rompu ses amarres, avant d'atteindre l'orifice, et avec des occupants, était allé s'écraser au fond.
Hélas, rien ne pouvait être tenté pour les sauver, et il était indéniable qu'aprés une chute de 800 mètres, la mort avait fait son oeuvre.
Cependant le danger persistait, avec la menace d'explosion. Il s'agissait tout d'abord de réduire l'incendie. Après fermeture des entrées d'air du GOUFFRE, il fallait obturer l'orifice du puits. Sous la conduite des ingénieurs, toutes les dispositions furent prises et chacun se mit au travail, car il existe entre les ouvriers de la mine, si rudes pourtant, une solidarité qui n'a d'égale que celle de marin, et, comme elle, confine à l'héroïsme, il n'est pas rare de voir plusieurs d'entre eux, exposer leur vie pour porter secours à leurs camarades en péril.
Ici également des actes de bravoure se produisirent. Nous nous contenterons de citer le plus spectaculaire: les portes de fermeture du puits, dilatées et déformées par la chaleur, n'obturent plus l'orifice. Comment parer à cet état de chose ?
Un ouvrier, Monsieur BERTHOLDO, s'avance alors dans la fournaise, un chalumeau à la main, pour couper sur les plafonds, ce qui gêne leur fermeture. Protégé par des vêtements ignifuges et par un rideau d'eau au moyen de lances à incendie croisées, étouffant dans ce brasier, aveuglé par la fumée et la vapeur, longtemps il travaille au bord du gouffre enflammé, au risque d'y tomber.
Il réussit dans son travail. Les portes sont clauses. Tout danger d'explosion est écarté, le feu est circonscrit, La Grand'Combe ne souffrira pas davantage de ce sinistre qui eut put tourner en catastrophe.
Une vingtaine de jours plus tard, tout danger étant définitivement écarté, on put à nouveau accéder au fond de la mine et les corps des deux malheureux chefs de poste remontés à la surface pour leur sépulture.
Une chapelle ardente fut édifiée dans une des salles de l'hôpital des mines. Une foule nombreuse défila pendant les deux jours qui précédèrent les obsèques, pour s'incliner et prier devant leur cerceuil.
Cette foule rassemblée en un immense cortège, les accompagna jusqu'à leur dernière demeure.
On les placa côte à côte, sur un même char, toujours uni, comme ils le furent dans la mort.
Notre église, pour la circonstance, avait revêtu sa parure funèbre, et était brillamment illuminée.
L'assistance, uniquement composée de travailleurs de la mine, depuis le Directeur de la compagnie, jusqu'au dernier des manoeuvres, emplissait la vaste nef. Toutes les personnalitées du département, ainsi que les parlementaires, étaient présent, ainsi que les nombreuses délégations d'ouvriers mineurs du bassin d'Alès.
Rien de plus émouvant à contempler, que cette foule d'hommes au visage grave, raidis dans la douleur, pleins de compassion pour leur camarade de travail et de lutte, victimes de la fatalité.
Comme on était loin de tohu-bohu de SAINTE-BARBE.
A l'Evangile, Monsieur le curé VEYRAS, curé de la paroisse, monta en chaire, au milieu d'une ambiance de tristesse et de deuil, qu'il partageait de tout son coeur de prêtre. Il l'exprima d'ailleurs d'une facon magistrale, dans son sermon d'une rare élévation de pensée et de sentiment, où il magnifia le travail poussé jusqu'au sacrifice suprême, pour assurer l'existance des hommes, et qui doit recevoir sa récompence au ciel.
Après la messe, l'absoute fut donnée par Monsieur le curé doyen, entouré de tous les prêtres des paroisses voisines.
La sortie, comme il se devait, se fit dans un ordre impeccable, au son d'une marche funèbre jouée aux orgues.
L'harmonie des mines, précédée de la clique en tête du cortège, joue le long du parcours, dans les rues de la ville, et pendant la messe, à l'offertoire.
Lors de l'élévation, la clique exécute la sonnerie "AU DRAPEAU".
Le cortège se dirige ensuite vers la place de l'ARBOUX, où avait été dressée une estrade, sur laquelle prirent place les personnalités présentes.
Au pied de celle-ci, sur des berlines remplies de charbon tout-venant (tel qu'il provient du chantier: gros et menu mélangé aux pierres), les deux cerceuils furent posés.
Des discours furent alors prononcés, en hommage au dévouement des deux malheureuses victimes, par les personnalités présentes, et les représentants des différentes organisations syndicales.
Ce furent de grandioses funérailles, que nous vîmes rarement.
Une remarque s'impose:
Le lecteur non averti, peut paraitre surpris que, dans un pays où l'on déplore malheureusement trops souvent des accidents mortel, des obsèques si grandioses aient été faites à ces deux victimes, tandis que de pareils honneurs ne sont point rendus à toutes les autres. Pourquoi cette différence ?
La raison en ait, que ces deux chefs de poste n'étaient point tombé dans l'accomplissement d'un travail ordinaire, dangereux certes, mais un travail de tous les jours, auquel tous les ouvriers mineurs sont exposés. Non, eux, étaient morts dans l'accomplissement d'une tache de sécurité, qui consistait à se rendre compte, au fond de la mine, après les tirs d'ébranlement, de l'abscence de tout danger pour leur camarades ouvriers, avant de leur permettre l'accès à la mine.
Mais cette tache présentait de réels dangers pour ceux qui en étaient chargé, et eux seuls encouraient ce risque.
L'événement en fournit une preuve indéniable.
On frémit à la pensée de la catastrophe qu'aurait pu être ce sinistre, et au nombre de morts que l'on aurait eu à déplorer, si la rentrée de poste s'était effectuée sans cette mesure de protection, qui leur coûta la vie.
C'est la raison pour laquelle ces deux hommes firent figure à la fois de héros et de victimes expiatoires, offertes pour la sauvegarde de leurs frères.
C'était alors le sentiment unanime des travailleurs de la mine, partagé par tous les habitants de LA GRAND'COMBE.
Les deux chefs de poste ayant péri dans l'incendie sont Camille BERTRAND et Emile MATHIEU.
Le chevalement été réhabilité au cours de l'année 1939 et on devait déplorer une troisième victime lors des travaux, Charles TOURNAY, ingénieur de l'entreprise, qui a chuté du haut du chevalement.